J’ai perdu ma bosse

Au secondaire, mon amie Hélène m’a fait remarquer qu’elle avait une bosse d’écrivain particulièrement protubérante. Elle en était fière. C’était la preuve qu’elle travaillait fort, beaucoup, longtemps. De mon côté, je me prenais déjà pour un écrivain, et j’étais désemparée de ne voir à mon majeur droit qu’une toute petite bosse là où je serrais mon crayon lorsque venait le temps de faire mes devoirs, d’écrire dans mon journal, de composer une histoire. Je me suis dit que mon travail, mon métier valait plus que ça. Alors je me suis mise à… qu’en pensez-vous?

1) Écrire de plus belle? ou

2) Frotter mes crayons et mes stylos rigoureusement contre ma peau pour en ressortir une bosse plus glorieuse?

3) Ces deux réponses?

Oui, c’est bien le #3, mais dans l’ordre inverse. Je frottais le bout de bois aiguisé contre ma bosse pour la faire grandir et j’appuyais plus fort lorsque venait le temps d’écrire.

Ma bosse n’en est pas devenue plus dodue pour autant.

Vingt ans plus tard, j’ai perdu ma bosse. Oh, il en reste un résidu, mais elle n’a même plus l’ampleur que je déplorais comme étant trop minime au secondaire. C’est l’air du temps. Bien que je préfère écrire au stylo d’abord, reste que la majorité de de mon travail se fait au clavier d’ordinateurs et de téléphones mobiles. Et, non, la bosse ne s’est pas miraculeusement transférée au bout des mes doigts qui tapent…

Plus jeune, je déplorais le fait que je n’avais pas, comme Hélène, une preuve tangible de mon statut d’écrivain. Aujourd’hui, je me rends compte que ce statut me vient de l’intérieur.

Mais ma bosse me manque toujours.