Flavia Flav au Franc’Open Mic – Partie 2

Pour les curieuses et curieux, voici la suite de mon texte en chantier, Flavia Flav (à prononcer à l’anglaise), une nouvelle dans laquelle une conseillère financière d’un certain âge devient une sensation YouTube malgré elle.

Flavia est un personnage qui m’est venu en tête grâce au Franc’Open Mic, la première scène ouverte francophone de Toronto.

Bonne lecture!

 

Flavia Flav (suite de Flavia Flav Partie 1)

Encore une fois, les événements de la soirée du micro-ouvert refirent surface dans sa mémoire.

Flavia n’était jamais montée sur scène auparavant. Certes, elle faisait souvent des présentations devant public au travail, mais ce n’était pas la même expérience que de monter les marches d’une scène improvisée dans le fond d’un bar local, où l’attendaient un micro prêt à gober ses paroles et un auditoire prêt à les juger.

Sa prestation n’avait rien d’extraordinaire – elle avait conçu une sorte de prière à la bonté du monde, inspiré de citations empruntées d’Internet. Ça avait été bien reçu – enfin, personne n’avait hué – et Flavia s’apprêtait à quitter la scène lorsqu’un beau jeune homme à la chevelure bouclée lui tendit sa guitare avec un « Tenez ça un moment, madame » sans cérémonie.

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C’était le vin. Sûrement que c’était le vin qu’elle avait consommé un peu plus tôt pour lui donner courage et confiance et monter sur scène. Alors, plutôt que de servir de trépied à guitare comme le lui suggérait la situation, Flavia eut l’idée de tenter une chansonnette – un genre de Give Peace A Chance – pour clôturer ses sept minutes devant public.

S’en suivit une prestation dont elle avait été fière, qui, mystérieusement, une fois transmis à la terre entière via  YouTube, fut transformé en un râlement rauque et aphone ponctué d’accords guitaresques manqués.

Elle aurait dû se douter que ses talents de musicienne laissaient à désirer. L’auditoire, qui lui avait réservé un silence respectueux pendant sa récitation, lui semblait moins calme pendant sa chanson. Un bourdonnement grandissant qui forçait Flavia à hausser le ton plutôt que de comprendre le message et de cesser le supplice du public.

Quand, enfin, la chanson arrivait à sa fin, l’animateur, n’en pouvant plus, s’empressa sur scène pour la remercier et pour présenter le prochain numéro.

– Merci beaucoup, Flavia Liboiron, pour ce numéro impromptu! On applaudit cette réinterprétation d’un classique. Madame Flavia Flav, sur la guitare de Nicolas Dutronc!

– C’est Colas, câlisse! s’écria le Colas en question, son accent français s’appropriant tant bien que mal le juron canadien-français et s’accordant immédiatement et par inadvertance sa nouvelle marque de commerce.

– Oh, pardon, Colas, s’excusa l’animateur avec une révérence exagérée.

Cola était guitariste solide. Flavia ne s’y connaissait pas – et était, en plus, sous l’influence du vin, d’une montée d’adrénaline et du pouvoir séducteur du jeune musicien – mais il lui semblait particulièrement doué.

Il était près de minuit lorsque Flavia quitta le resto-bar où se tenait la soirée du micro-ouvert. Satisfaite que la fin de semaine s’entamait bien, Flavia se félicita d’avoir vaincu ses réticences et monté sur scène.

Si seulement elle avait su que sa performance lui coûterait cher. Elle serait restée à la maison. Cela lui apprendrait de quitter sa zone de confort! Et voilà qu’on lui demandait de refaire l’exercice.

– Je ne vois pas comment ma présence – ou mon absence – à un concert affecterait la vôtre. Vous jouez suffisamment bien pour ne pas avoir besoin de mes « drôleries » pour augmenter votre talent en comparaison.

– Je peux bien manier la guitare, mais des guitaristes, il y en a partout – des comédiennes comme vous, à l’air authentique, c’est rare. Et c’est drôle! C’est pourquoi on nous demande. Mon ami a fait de nous un package deal. Flavia Flav et Colas Câlisse.

Flavia sourit malgré elle.

– Vous aussi, ils vous ont accablé d’un sobriquet niaiseux?

Colas rit de bon cœur.

– Oh, si c’est ce que ça prend pour me faire connaître, ils peuvent me nommer ce qu’ils veulent.

Il semblait avoir oublié son insistance de se faire appeler Colas au lieu de Nicolas.

– Colas. Je vous remercie de votre conviction que ma performance ridicule l’était exprès. Je vous remercie de l’invitation, mais j’ai une réputation à rebâtir. Je ne vais pas refaire une folle de moi – surtout pas délibérément.

Dans le silence qui suivit le soupir désespéré de Colas, Flavia entendit ses propres pensées : « Vraiment, est-ce que ce serait si grave que ça de remonter sur scène cinq minutes si ça pouvait aider un jeune musicien dans sa carrière d’artiste? Ça te coûterait quoi, vraiment, de faire ça une fois? Autant en profiter pour s’amuser un peu, et ça ferait tellement plaisir à Colas… Mais… monter sur scène, devant toutes ces personnes, qui auraient toutes des appareils mobiles intelligents, tous en mode caméra, fixés sur elle et ses « drôleries »… »

– Je vous donnerai toute ma part du cachet, Mme Liboiron, lança tout à coup Colas. Le mille dollars, tout à vous.

– Ils vont nous payer? s’exclama Flavia, incrédule. Pour ça? Voyons donc.

– Oui! C’est un vrai gig, professionnel, mon premier. S’il vous plaît, Mme Liboiron, venez avec moi. Ne me coûtez pas cette chance, dit Colas en geignant.

– Bon, ça va, ça va. Mais, le cachet se partage; je ne prendrai pas votre part, tout de même.

Elle le regretta presqu’aussitôt. Colas poussa un cri victorieux, lui laissa son numéro de téléphone et les détails du concert, puis raccrocha rapidement, probablement de peur que Flavia ne change d’idée.

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Elle avait succombé. Parce que Colas était si beau, si jeune, oui, et si insistant pour sa carrière – qui n’irait nulle part sans elle. Elle et ses « drôleries ». Elle et son sang-froid qui allaient être mis à l’épreuve samedi soir. Dans trois jours. Qu’avait-elle donc fait.

Elle se morfondit jusqu’à la fin de semaine. Plusieurs fois, elle agrippa son téléphone pour appeler Colas et se désister de son engagement. Mais elle ne composa pas son numéro. Elle ne voulait pas lui faire de peine. Elle s’imagina ses traits d’Adonis se plisser et son charmant sourire s’écrouler face à la déception qu’elle lui causait. Alors, bien qu’elle voulait faire volte-face, Flavia tint bon et se présenta au rendez-vous.

Elle avait passé l’après-midi à se questionner sur ce qu’elle allait porter sur scène – camisole se voulant sexy accompagné d’un jean délavé? son chemisier préféré afin de paraitre plus sérieuse et professionnelle? sa robe rouge à paillettes réservée à l’habitude pour le Jour de l’An? Puis, elle songea à la vidéo – qu’elle consulta pour confirmer – et choisit de porter exactement le même ensemble qu’elle avait sur le dos le soir du micro-ouvert. Les gens – Colas – voulaient Flavia Flav? Ils l’auraient.

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